Les principes de guerre de Napoléon
Dès ses premières campagnes, Napoléon, illustré ici avec son Etat-major par Rava Giuseppe, s'impose par des succès foudroyants. L'art de la guerre semble en être bouleversé et renouvelé. Mais à y regarder de plus prêt, il est difficile de parler de révolution stratégique ou tactique. Vers la fin du 18e siècle, les modifications apportées par les progrès de l'armement ont, dans le domaine de la "grande tactique", toutes été plus ou moins clairement exposées dans les divers règlements et surtout dans les écrits des grands écrivains militaires comme Guibert, Bourcet, ou du Teil.
Les principales conséquences et avantages de l'adoption du système divisionnaire ont en particulier déjà été pressenties. La division possède une certaine autonomie. Isolée, elle possède une faculté de résistance, de durée et des possibilité de combat en retraite. Elle peut se diviser pour vivre et se réunir pour combattre. Elle permet l'extension des fronts grâce à laquelle on peut contraindre l'ennemi à la bataille. Ayant étudié ces écrivains, Napoléon est leur héritier intellectuel Il n'a pas, à proprement parler, inventé. Sa qualité première est de savoir choisir entre les procédés qui lui sont légués, pour les adapter aux circonstances et les fondre en un système complet. L’œuvre ci-contre, de Félix Philipoteaux, montre le futur Empereur lors de l’une de ses victoires sur les Autrichiens, le 14 Janvier 1797 à Rivoli, au sein de l’armée de la révolution. Par d'habiles manoeuvres, une armée française de 30.000 hommes prendra l'ascendant sur les troupes ennemies deux fois supérieures en nombre. Cette bataille entrainera peu après la capitulation de Mantoue.
Les progrès du 18e sciècle en matière d'armement ont entraîné une lente évolution de l'organisation des armées et des formes de la guerre. Napoléon va précipiter cette évolution et atteindre la perfection dans leur mise en pratique. Aucun progrès ne sera ensuite possible sans un perfectionnement préalable de l'armement et des moyens de combat.
Le système napoléonien
Napoléon n'est pas un théoricien. Il dira lui-même à Sainte-Hélène : "II n'y a point de règles précises, déterminées. Tout dépend du caractère que la nature a donné au général, de ses qualités, de ses défauts, de la nature des troupes, de la portée des armes, de la saison et de mille circonstances qui font que les choses ne se ressemblent pas". Tout au plus peut-on dégager certains traits communs des divers procédés qu'il emploie.
Il n'en reste par moins un stratège exceptionnel, sachant manier avec efficacité les divisions comme les armées, en tenant compte des différences de chaque arme. Son utilisation de l'artillerie et de la cavalerie, illustrée ici par la charge de la brigade Marmaron à Austerlitz de Giuseppe Rava, est particulièrement redoutable.
La recherche de la bataille
Pour de nombreuses raisons militaires, économiques et politiques, le but de Napoléon est de finir la guerre le plus rapidement possible. Il va donc rechercher la bataille décisive. Pour atteindre ce but deux conditions sont nécessaires. Il doit tout d’abord imposer la bataille à l'ennemi, puis s’y présenter avec la supériorité numérique.
Le principe divisionnaire facilite la réalisation de la première de ces conditions. Son adoption permet de s'affranchir de la "bataille par consentement mutuel" du 18e siècle. Réaliser la seconde condition, c'est à dire obtenir la supériorité numérique sur le champ de bataille, sera le souci constant de l'Empereur.
Sur le champ de bataille, Napoléon tire tous les avantages de l’excellente organisation du système divisionnaire français. L’attaque finale est régulièrement donnée par un coup décisif de la cavalerie. Cet effet de choc de la cavalerie française, que l’Empereur déclenche souvent au bon endroit et au bon moment, sera craint par l’ennemi.
L'artillerie est elle aussi redoutablement efficace. Grâce à la pertinence du système Gribeauval, une bonne partie d'entre elle est montée et se déplace rapidement Elle met parfois même en batterie à quelques centaines de mètres de l'ennemi.
Mais l'infanterie reste de loin l'arme la plus présente sur le champ de bataille, comme l'illustre cette attaque de la Garde, de Rava Giuseppe. La Garde se compose de troupes d'élites souvent placées en réserve au début de la bataille, et les lignes sont tenues par les divisions l'infanterie conventionnelle. Le système divisionnaire français permet une utilisation beaucoup plus souples des troupes tout en gagnant en rapidité de manoeuvre. ,
La supériorité des forces
Napoléon obtient généralement la supériorité de ses forces en provoquant la dispersion de celles de l’ennemi et en concentrant ses propres moyens. L’Empereur a d’ailleurs toujours affaire à une coalition et les intérêts de chacun de ses ennemis sont souvent divergents, parfois même contradictoires. De plus, les délais nécessaires à leur entrée en campagne, leur faculté de marche, ou leur stratégie peuvent aussi se matérialiser par de grandes différences.
Napoléon s'ingénie d'ailleurs à provoquer la supériorité de ses forces par la forme de son dispositif initial, qui, en embrassant une large étendue, laisse l'ennemi dans l'incertitude quant aux points d'attaque éventuels. Cette tactique est renforcée par des feintes, destinées à tromper l’ennemi et à lui faire déplacer ses réserves. Dès ses expériences de commandement comme général de la Révolution, Bonaparte utilise la feinte dans sa tactique. A Arcole, entre le 15 et le 17 novembre 1796, l'armée française se heurte à une solide défense autrichiène. Au fameux pont, Bonaparte tente de traverser avec ses hommes, comme l'illustre cette œuvre de Carle Vernet, et il s'en faut de peu qu'il n'y perde la vie. La défense ennemie étant trop forte, il décide d’envoyer ses tambours sur les arrières des Autrichiens, afin de leur faire croire à l’arrivée de renforts français. La feinte fonctionne, l’armée ennemie allége ses lignes pour faire face à cette menace factice, et l'offensive française réussit
Si cela est possible, Napoléon lance ses troupes dans une avance rapide au milieu du dispositif ennemi. C'est la "manœuvre en lignes intérieures", permettant de battre successivement les différentes fractions des forces ennemies. La concentration des forces pour la bataille est la préoccupation essentielle de l'Empereur car elle permet l’unité d'action et l'économie des forces.
A propos de l'unité d'action Napoléon est formel : "il ne doit y avoir sur un même théâtre d'opérations qu'une seule armée, c'est à dire qu'un seul général employant toutes les troupes à une action unique, les faisant concourir à la défaite des force; ennemies, à leur ruine par la bataille" cité par Colin dans « Les Transformations de la guerre ».
Conformément au principe de l'économie des forces, Napoléon ne laisse en arrière aucune troupe capable de tenir campagne. S'il lui est nécessaire de consacrer une partie de ses effectifs à des missions secondaires comme la couverture, le retardement ou la découverte, il en dose les moyens avec une parcimonie d'avare.
Ancien officier d'artillerie, l'Empereur possède une parfaite maitrise de l'arme. Mais au delà de cette qualité, il sait tirer tous les avantages du système divisionnaire français, et en particulier de sa souplesse. Cette organisation militaire française sera ensuite adoptée par l'ensemble des autres armées et reste en vigueur de nos jours.
Lorsque l’on passe à l'application, tous ces principes semblent imposer des conditions en apparence contradictoires. Il faut embrasser toute l'étendue du théâtre d'opérations afin de saisir l'ennemi à coup sûr d'une part et se présenter à la bataille strictement concentré d'autre part, ou encore se garder partout et maintenir l'ennemi dispersé d'une part et avoir le maximum de forces disponibles pour la bataille d'autre part.
Accorder ces contraires est l'objet de la "Grande tactique" ou science des mouvements des diverses colonnes et détachements dont se compose l'armée. Chaque jour et à chaque instant l'armée doit être en mesure de manœuvrer dans toutes les hypothèses possibles. Son dispositif doit assurer sa sûreté, mais l’armée doit également pouvoir changer de direction, ou détacher une fraction sans se disperser, destinée à contenir une menace adverse ou à agir sur le flanc ou les arrières de l'ennemi.
Napoléon est un maître dans cet art de la "grande tactique", comme le confirme Colin, toujours dans « Les transformations de la guerre » : "Si l'armée ennemie est au milieu des divisions françaises, elle est enveloppée, tandis que si l'armée française se trouve entre les masses ennemies, elle les sépare". La bataille de Friedland, illustrée ici par Jean Louis Ernest Meissonnier est assez représentative de l'apogée de la maitrise tactique française.
La vitesse
Cette conception de la guerre exige une rapidité d'exécution inconnue jusqu'alors. Si Napoléon montre en général peu d'intérêt pour la tactique du combat lui-même, rien de ce qui touche la tactique de marche des grandes unités ne le laisse indifférent. Il met par exemple sur pied des cantonnements échelonnés en profondeur aux axes de marche, il améliore le réseau routier et étudie minutieusement les itinéraires.
Les efforts demandés aux troupes sont considérables. Pendant la campagne d'Italie de 1797 la division Masséna se bat le 13 janvier à Vérone, le 14 au matin elle est à Montebaldo à 40kms de là et participe à la bataille de Rivoli. Le 14 au soir elle repart en direction de Mantoue et franchit les 70 kms qui l'en sépare en une journée. Puis, le 16 janvier, elle gagne le combat de la Favorite.
Un régiment de dragons de la Garde impériale met 68 jours pour parcourir les 2.800 km séparant Saint-Sébastien en Espagne de Vienne en Autriche, avec seulement deux jours de repos, à Paris et à Strasbourg, et il arrive en parfait état.
La planche ci-contre, illustrant le déplacement de ce régiment de dragons, est extraite de l'œuvre du docteur Lienhart et de René Humbert, regroupant de nombreux dessins d'uniformes français. L'ensemble fut éditée à la fin du 19e siécle.
La recherche du renseignement
Etre renseigné sur les mouvements et les intentions de l'adversaire est indispensable à l'Empereur pour l'établissement de ses combinaisons. Au 18e siècle, quand les armées marchaient d'un seul bloc, rien n'était plus facile que de situer la position de ennemi, la rumeur publique y suffisait. Mais l'apparition du système divisionnaire a entraîné une extension considérable des fronts et il devient bien difficile de situer le gros des forces ennemies parmi tous les détachements qui sillonnent un territoire. Le rôle de la cavalerie devient alors primordial.
Pendant les guerres de la Révolution, la cavalerie, désorganisée et toute entière endivisionnée était finalement très mal employée. Sous Napoléon, la réorganisation de cette arme et la création de grandes unités de cavalerie, permet de mener à bien l'exploration, comme par exemple celle de la plaine de Leipzig par Murât avant la bataille d'Iéna. L’œuvre ci-contre, également due à Carle Vernet, illustre le retour de la puissance de la cavalerie française en présentant un colonel du 10e régiment de cuirassiers. Ce type d'unités, particulièrement représentatif de l'action de choc, est souvent appelé "cavalerie lourde", car portant une cuirasse.
La bataille napoléonienne
La bataille napoléonienne pourrait se résumer par plusieurs phases successives. Tout d’abord un combat de front fixe l'adversaire, l'oblige à engager ses troupes et l'use. S’en suit un mouvement tournant, ou si l'ennemi est trop fort, un simple mouvement débordant, afin de menacer ses arrières, agir sur son moral et le contraindre à engager ses réserves.
Quand la désorganisation de l'ennemi paraît suffisante et que toutes ses réserves ont été engagées, une attaque décisive menée à fond par des troupes soigneusement gardées en réserve et préparée si possible par une masse d'artillerie, est lancée par Napoléon lui-même.
C'est l' "Evènement" qui décide du sort de la bataille, parfaitement illustré par Philippoteaux avec ce cuirassier de 1812, puisque bon nombre de batailles sont achevées par une charge des unités de choc.
Enfin si la fatigue des troupes ne s'y oppose pas, une poursuite sans répit, menée par la cavalerie, achève la décomposition des forces ennemies. Cette action, entièrement nouvelle, contribue à donner à la bataille napoléonienne son caractère d'anéantissement, comme le démontre par exemple celle succédant à la bataille d’Iéna.