La division d'infanterie française,
des origines à 1940
Les origines
Les origines de la division d'infanterie sont françaises et remontent au 18e siècle. En 1788, l'ordonnance de Brienne, créé 21 divisions, en spécifiant que les troupes doivent être "disposées à entrer en action et à cet effet, divisées, organisées, équipées comme elles doivent l'être en guerre, en sorte que la paix soit pour elles une école constante de discipline et d'instruction en même temps qu'elle sera pour nos officiers généraux une école de commandement."
Cette organisation du temps de paix correspond à l'idée nouvelle de la formation en guerre de divisions, groupements de plusieurs armes. A cette époque, chaque division se compose d'une à quatre brigades d'infanterie, chacune disposant de deux régiments, et d'une ou deux brigades de cavalerie. Elle possède parfois également quelques bataillons de chasseurs.
En 1795, un nouveau pas est franchi avec l'intégration divisionnaire de l'artillerie de campagne, rendue possible par la mobilité que le système de Gribeauval lui a donnée. La division regroupe alors un effectif de 12 à 15.000 hommes, et comprend en général deux brigades d'infanterie, une demi-brigade d'infanterie légère, une brigade de cavalerie, et deux compagnies d'artillerie, l'une à pied et l’autre à cheval. Toutes les troupes sont alors endivisionnées.
Quelques années plus tard, pendant la campagne d'Italie, l'Empereur se constitue une réserve d'armée en cavalerie et en artillerie par prélèvement sur les divisions. Plus tard il sépare infanterie de la cavalerie pour former deux types de divisions. La division d'infanterie est constituée d’infanterie et d’artillerie, et celle de cavalerie regroupe cavalerie et artillerie. La division d'infanterie comprend alors en général deux brigades de deux régiments d'infanterie et deux compagnies d'artillerie de six pièces. Son effectif varie entre 7.000 et 10.000 hommes.
Cette réorganisation met à profit les progrès de mobilité de l'artillerie à cheval et permet de disposer d'unités puissantes et mobiles sur le champ de bataille. L'infanterie reste, de loin, l'arme la plus présente sur le champ de bataille. Elle tient les lignes, et son organisation divisionnaire lui donne une souplesse d'emploi sans équivalence au sein des armées ennemies. Cette organisation sera ensuite calquée par toutes les armées modernes.
Après l'Empire, toutes les grandes unités, divisions ou brigades, sont supprimées en temps de paix. Elles ne reparaîtront temporairement qu'à l'occasion des différentes expéditions militaires. Des divisions mixtes composées d’infanterie, de cavalerie et d’artillerie sont reformées à l'occasion de la guerre d'Espagne de 1823. Au cours du Second Empire, seize divisions sont en théorie organisées en temps de paix, mais seules celles de la Garde ou du camp de Chalons possèdent leurs dotations en artillerie.
A partir de cette période, rien n'est prévu pour la mise sur pied de guerre de l'armée. La mobilisation des troupes, c'est-à-dire la mise à effectifs de guerre des unités, est faite simultanément avec la concentration des armées sur les théâtres d'opérations. En 1859, des divisions sont transportées en hâte au Piémont alors qu'elles ne disposent ni d'état-major, ni de moyens de transport pour leur ravitaillement, ni même parfois de leur artillerie.
Vers la division d'infanterie moderne
Après la défaite de 1871, l'armée française est profondément remaniée. La loi d'organisation de l'armée du 24 Juillet 1873 divise le territoire en 18 Régions militaires (19 avec l'Algérie). A chaque région correspond une grande unité existant dès le temps de paix, le corps d'armée. Sa composition est fixée à deux divisions d'infanterie, une brigade de cavalerie, une brigade d'artillerie à deux régiments, un bataillon du génie et un escadron du train des équipages.
Lorsque la Première guerre mondiale éclate, la division d'infanterie n'est qu'un des éléments organiques du corps d'armée. Celui-ci est la plus petite des grandes unités, possédant un commandement, des troupes et des services. Bien qu'ayant toutes la même structure, les divisions d'infanterie sont liées à leur corps d'armée et ne sont pas considérées comme des unités interchangeables.
Organe purement tactique, la division comprend des troupes de toutes armes, mais elle est presque démunie de services. C'est au corps d'armée qu'incombe le soin de lui fournir tout ce qui est nécessaire à son existence, la division ne peut donc vivre en dehors du corps d'armée.
La guerre de 1914 - 1918, engendre une profonde évolution de la division d'infanterie dont la plus marquante reste son émancipation progressive hors de la tutelle du corps d'armée. Cette évolution est essentiellement due à la nécessité de relever les divisions au cours du combat en fonction d'une usure beaucoup plus rapide que l'on ne le concevait antérieurement.
Au début de la guerre, le corps d'armée doit dans la plupart des cas mettre simultanément en ligne ses deux divisions organiques, et il ne possède pas les moyens d'assurer leurs relèves. Plusieurs solutions sont alors envisagées pour pallier cet inconvénient majeur. Il est possible d''augmenter le nombre des divisions organiques du corps d'armée, de relever les corps d'armée en entier, ou encore de procéder au remplacement provisoire des divisions usées par des divisions fraîches à l'intérieur du corps d'armée.
La première solution ne convient pas aux situations défensives. L'attribution de trois ou quatre divisions aux corps d'armée dans les secteurs calmes aurait une répercussion fâcheuse sur la bonne économie générale des effectifs. La relève totale du corps d'armée ne semble pas plus pertinente car les éléments non endivisionnés, composés majoritairement d'artillerie, ne participent que dans une faible mesure à l'usure des divisions. Il est en outre nécessaire de maintenir en place les organes de commandement du corps d'armée et les éléments non endivisionnés, de manière à profiter de leur connaissance de la situation locale.
C'est donc la troisième solution qui est adoptée. Elle donne naissance au système dit de la « noria » qui joue à plein pendant les batailles de Verdun, de la Somme et de toutes les opérations défensives ou offensives de 1918. Il faut d'ailleurs noter que vers la fin de 1918, une tendance différente ayant pour but de reconstituer les corps d'armée avec un certain nombre de divisions d'infanterie organiques apparaitra, car la relève des divisions rompt constamment les liens entre ces deux échelons de commandement, étroitement liés dans la bataille.
Mais les divisions doivent pouvoir quitter leur corps d'armée, soit pour aller se reconstituer à l'arrière, soit pour être engagées sur un autre point du front. Il est donc nécessaire de leur donner les moyens de vivre d'une façon autonome et donc de les doter de services leur appartenant en propre. La forme de la division s'affirme du fait de l'indépendance qu'elle acquière par rapport au corps d'armée. Elle constitue ainsi la base des combinaisons à l'intérieur du corps d'armée et de l'armée, dont la puissance s'évalue au nombre de leurs divisions.
Le Corps d'armée devient ainsi capable de mener une action tactique prolongée et de la conduire jusqu'à la décision. Il devient l'unité de bataille, groupant un nombre variable d'unités de combat, les divisions.
La réorganisation du quartier général
L'expérience de la Somme met en valeur l'importance prise au combat par les armes spéciales, comme l'artillerie, le génie, ou les transmissions. L'augmentation du nombre des unités, l'obligation de coordonner étroitement leur action, ainsi que la nécessité de tenir compte à chaque instant de facteurs techniques ne permettent plus au général de division d'en assurer le commandement sans auxiliaires ni intermédiaires. Un commandant du génie divisionnaire est donc créé en 1915, ainsi qu'un commandant de l'artillerie divisionnaire l'année suivante.
En 1916, l'adoption du système ternaire, ramenant les effectifs d'infanterie d'une division à trois régiments au lieu de quatre, entraine la création du commandement de l'infanterie divisionnaire en remplacement des commandants de brigades. La même année, un commandant du service automobile est mis sur pied afin d'assumer la surveillance technique des diverses formations automobiles échues à la division. Enfin, en 1917, la fonction de chef du service télégraphique est créée.
Ces éléments nouveaux viennent amplifier le quartier général de la division, passant ainsi de 18 officiers en 1914, à 35 en 1918. Le quartier général, embryonnaire de 1914, devient un organe complet comprenant, outre l'Etat-major lui même, le personnel du commandement des armes et celui de la direction des services.
L'évolution des troupes
L'expérience des combats engendre également de profondes modifications dans les effectifs de la division. Ceux de l'infanterie se réduisent progressivement tandis que les autres armes prennent de plus en plus d'ampleur. Les effectifs de l'infanterie passent ainsi peu à peu de 13.000 hommes en 1914 à 8.000 en 1918.
La réduction progressive de l'infanterie résulte de deux nécessités. D'une part, celle d'augmenter le nombre de divisions en profitant de l'accroissement de la puissance de l'armement, compensant, tout du moins dans la défensive, les ressources limitées en effectifs. Il est également nécessaire de parer à l'extension des fronts et à l'usure des divisions.
D'autre part, la proportion des différentes armes à l'intérieur de la division ne correspond plus aux nécessités du combat et à l'évolution de l'armement. Les troupes du génie passent d'une à deux compagnies de sapeurs-mineurs, les transmissions disposent maintenant d'une section télégraphique et d'un détachement radio, l'artillerie est renforcée de batteries de tranchée et d'un groupe de 155 C, tandis que la cavalerie divisionnaire se compose d'un ou deux escadrons jusqu'en 1917. Notons, enfin, l'attribution d'une escadrille aérienne aux divisions isolées.
Dans l'ensemble, la proportion de l'infanterie dans la division est réduite de 87 à 68 % de l'effectif total. Celle de l'artillerie passe de 10 à 22 % et celle des autres armes ou services de 3 à 10 %.
L'accroissement des services divisionnaires
Dans la division de 1914, les services sont en grande partie constitués d'éléments prélevés sur le corps d'armée. Ils se composent presque uniquement de l'intendance et de la santé. Dès 1915, en fonction des déplacements fréquents des divisions hors de leur corps d'armée d'origine, il est décidé que toute division momentanément détachée emmène avec elles certains organes des services provenant des formations du corps d'armée pendant la durée de son déplacement.
C'est un premier pas vers l'attribution définitive des services, mesure qui sera prise en 1916. A ce moment les divisions reçoivent provisoirement tous les services qui leur sont nécessaires pour vivre, tout comme elles possèdent déjà les moyens de mener le combat avec leurs seules forces, dans les circonstances ordinaires de la bataille.
L'orientation des idées en fin de campagne
Les études continuent au lendemain de la guerre, en vue de donner aux grandes unités l'organisation résultant de l'expérience acquise au cours de la guerre. Celle du maréchal commandant en chef les armées Françaises, du 3 avril 1919, précise les modifications que lui paraissent comporter l'organisation existante au 11 novembre 1918.
Dans les grandes lignes, la division d'infanterie conserve sa physionomie de fin de campagne. Elle reste la grande unité élémentaire dotée, d'une part de tous les moyens nécessaires pour vivre et combattre, et d'autre part de tous les organes de commandement indispensables pour assurer la coordination dans l'emploi des différentes armes, et permettre le renforcement de la division par des éléments provenant des réserves générales.
En fonction des qualités de souplesse démontrées sur le champ de bataille, le principe de la division à trois régiments d'infanterie reste définitivement acquis. Il est d'autre part envisagé de renforcer son artillerie en la dotant de quatre groupes de 75 au lieu de trois et de deux groupes de 155 au lieu d'un seul. Chaque division sera en outre dotée d'une escadrille et d'une compagnie d'aérostiers.
Aucune modification n'est envisagée pour l'ensemble des services, si ce n'est un accroissement des moyens de transport automobiles par la transformation de quelques-uns des organes hippomobiles de la division.
La note du commandant en chef du 3 avril 1919, consacre l'évolution antérieure autant qu'elle la complète. La composition qu'elle envisage ne sera d'ailleurs jamais réalisée faute de moyens, à l'exception de l'attribution du second groupe de 155 C.
L'évolution de la division d'infanterie pendant l'Entre-deux-guerres
Cette conception de fin de campagne a pour résultat d'alourdir la division et de la rendre peu maniable pour une guerre de mouvement, ainsi que pour les transports stratégiques de grande amplitude. Or l'expérience a clairement démontré que la rapidité des mouvements est d'une importance capitale.
En 1914, le transport d'une division d'infanterie exige 26 trains contre 57 à la veille de la Seconde Guerre Mondiale, soit plus du double. Environ 44 trains sont nécessaires pour les éléments combattants ainsi que 13 pour les services. Cette augmentation substantielle du nombre des trains double les délais d'embarquement et de débarquement, tout en immobilisant la division en cours de transport pendant un délai bien plus long qu'en 1914, et ce, malgré l'accélération de la vitesse des trains.
De même, son transport en camions nécessite 2.000 véhicules, représentant une longueur de convoi de près de 100 kilomètres en ordre de marche, lorsque l'on transporte son artillerie et un échelon réduit de chevaux. Mais le développement intensif de la motorisation se traduit avant guerre par une diminution non négligeable des ressources en chevaux et en véhicules provenant de la réquisition.
Pendant les années de l'Entre-deux-guerres, l'armée française s'efforce donc d'alléger la division d'infanterie afin de la rendre plus maniable. Certains services comme le ravitaillement en viande ou le parc du génie sont replacés à l'échelon du corps d'armée, tandis que d'autres sont allégés. Une section de munitions est ainsi supprimée des effectifs divisionnaires, et la main-d'œuvre est ramenée à une seule compagnie de pionniers. La motorisation permet enfin d'assouplir le fonctionnement de certains services.
Lorsque la guerre débute, et mises à part les grandes unités à destination particulières (DI de montagne ou d'outre-mer) il existe deux types de divisions d'infanterie. L'immense majorité d'entre elles sont des divisions de type normal, ou Nord-est, qui se caractérisent principalement par l'attribution de véhicules automobiles à tous les organes de commandement, et la motorisation partielle des trains de combat de l'infanterie par le remplacement par des camionnettes des voitures à vivres et à bagages, ainsi que d'une partie des voiturettes de transmissions. Enfin, les trains de ravitaillement de toutes les armes et de tous les services comprennent maintenant au moins une section automobile, à l'exception de ceux du train hippomobile.
Le second type, dit motorisé, ne concerne que sept divisions d'infanterie. La presque totalité des chevaux de l'infanterie est supprimée et ne comprend plus que 67 voiturettes hippomobiles par régiment d'infanterie. Elles sont faciles à embarquer en camions avec leurs attelages. Tous les autres véhicules hippomobiles sont remplacés par des camionnettes, des camions ou des remorques. Les chevaux des officiers le sont par des voitures de liaison ou des motos-sidecars. D'autre part, la motorisation est intégrale dans les unités d'artillerie, du génie et du groupe de reconnaissance, dotés quant à lui de moyens tous terrains. Elle l'est aussi pour l'ensemble des services.
Rappelons néanmoins que l'infanterie d'une division motorisé n'est qu'agencée pour le transport automobile. Elle reste tributaire des unités du train automobile de réserve générale pour ses déplacements et cette faiblesse ne sera pas sans conséquences pendant la campagne qui va suivre. En revanche, tous les autres éléments sont capables de se prêter à de longs déplacements stratégiques sur routes en totale autonomie, et tous les moyens de combat sont tous terrains.
Mais la rançon d'une telle organisation en est l'encombrement. Lorsqu'une division d'infanterie motorisée se déplace par la route, la totalité de ses éléments représente une colonne d'environ 115 kilomètres de longueur.